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Cloudsleeping
15 mai 2006

Back dans les backs

Je commence avec une excellente nouvelle : je reviens au pays ce samedi 20 mai pour une petite semaine de vacances ! ça devenait vraiment indispensable, question de décanter un peu du boulot et me reposer un peu de l'Afrique... au plaisir de vous y revoir !

Sur la route

Troisième et dernier volet de ce tour du Congo à bord de différents moyens de locomotion. Cette fois-ci, conformément au titre de la rubrique, on est sur la route ou plutôt sur des pistes bien défoncées. Ça veut dire la moto uniquement car il serait impossible de rouler sur les pistes de la région en voiture. Lors d'une de mes missions terrain, on avait 250 KM à couvrir de Kisangani à Lubutu. 250 Km, c'est +- la distance Ostende-Luxembourg… on a mis 9 heures. La moto ici c'est pas Johnny Holiday sur la Road 66.

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La nature a repris ses droits sur le bitume ou la terre tassée. La végétation l'a souvent réduite à un petit sentier, les pluies l'ont érodées de profonds sillons qui se transforment en ruisseau lors des orages. Ornières et bourbiers de plusieurs kilomètres obligent à mettre pied à terre pour continuer à patauger et pousser la moto flanquée de bidons de 50 litres d'essence, d'eau et de tentes etc. Ils se terminent souvent en marais où viennent tranquillement nager quelques canards.

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Les types de terrain sont d'une diversité incroyable soit autant de pièges qui peuvent se présenter car ils peuvent changer sur quelques mètres à peine : terre dure et sèche avec une fine couche de poussière, sable, graviers, terre rouge rendues lâche et glissante par les pluies, feuilles couvrant de sournoises terres grisâtre, blocs de pierres qui se détachent du sol et blocs de pierre dévalent dans les ruisseaux creusés dans la piste etc. Bref la plupart du temps on roule de façon un peu chaotique en essayant de garder l'équilibre au creux de toutes ces embûches… la moyenne n'est donc pas très élevée. Fort heureusement les chauffeurs se dérouillent vraiment bien, les chutes sont rares mais le dos et le fessier encaissent rudement ! Pourquoi n'ai-je point les grosses fesses bien rondes et dodues de nos jeunes filles en fleur bourées de complexes ??? Ah toutes ces couches de tissus adipeux qui me permettraient d'amortir confortablement ces 9h de moto… quel rêve pour moi. Je devrais penser à un peu de chirurgie esthétique… donnez moi un peu de votre cellulite par pitié pour épargner mon osseux fessier...

On roule également en pleine forêt tropicale et les pistes sont traversées par de petites ou grandes rivières. Les traverser est un peu hasardeux : il s'agit de ne pas se planter quand on roule sur les trois rondins de bois glissants et pourri par l'humidité qui font office de pont. Une de mes collègues a vu une des motos de son équipe s'abîmer dans les flots lorsqu'un de ces rondins a cédé sous le poids. Elle a pu la récupérer mais en piètre état et avec le téléphone satellite qui sert à faire les appels de localisation totalement hors d'usage.

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Au hasard de la route, on passe devant quelques rares villages… Dieu sait pourquoi ces gens sont venus s'installer dans de tels endroits. En entendant au loin le bruit des motos, les petits enfants accourent en bande au bord de la piste lorsqu'on traverse leur territoire et lancent une clameur de salutation, ou crient "Muzungu, muzungu muzungu" (qui désigne le blanc, le "civilisé"). C'est un petit jeu amusant et accueillant… Mais dans chaque village c'est le même cinéma : il faut les saluer de loin par quelques signes de la main, tel le Pape qui passe dans la foule en papamobile donnant la bénédiction aux fidèles avides de ses condescendances.

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Mon travail m'a amené à m'arrêter dans l'un ou l'autre de ces villages afin de prendre des nouvelles de tel ou tel enfant qui doit être réunifié avec sa famille à l'autre bout du pays par le CICR. On est ici dans des lieux qui n'ont pas d'âge… ne demandez pas aux gens ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001, cette date ne signifie rien pour eux… Pas de radio ou de journal par ici, aucun moyen de communiquer. Ils vivent à leur rythme, préservés des conneries du grand monde…

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Dans cette région, leurs guerres à eux c'était des hommes en armes de toute sortes, des combattants nus armés de gri-gris redoutables (peaux de félins, testicules humains, masques maléfiques), de Kalachnikov et surtout de pouvoirs magiques d'invulnérabilité conférés par des sorciers dont l'eau rituelle changerait les balles de fusils en eau et autres bandes de pillards venus dévaliser, incendier, massacrer. Les villageois vivent ici tel que leurs ancêtres l'ont toujours fait ; ils ont bien quelques casseroles pour cuisiner sur le feu de bois et puis deux trois outils pour travailler les champs, peut-être un vélo pour celui qui a de la chance. Les enfants vont à l'école mais l'enseignement y est très rudimentaire et pas toujours la porte à côté. La dernière grande innovation qui peut avoir changé ou facilité un peu leur vie, c'est les médicaments et encore quand ils y ont accès. Cela devait être il y a vingt ou trente ans, mais à part ça peu de choses ont changé pour eux depuis des siècles : maisons en bois, pierre, boue séchée, feuilles de palmes comme toit ; bancs et chaises en planches pour tout mobilier. Un masque ou deux décorent parfois l'intérieur, à moins qu'ils aient encore des usages spécifiques…

Malgré qu ils soient en dehors de l histoire, ces villageois ont l air de poser pour la postérité... et regardez en avant plan, c est un ex soldat rendu fou par la guerre... il a glissé une cigarette de chanvre dans ma poche puis s est fait engueuler par tout le village pour ce geste de dément.

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A travers la forêt, la végétation est toujours aussi exubérante et on voit toute sorte de curieuses espèces de plantes. Dans les villages surtout, il y a ces arbres aux petites fleurs rosées qui, en tombant, forment à leur pied un fin tapis de paillettes fuchsia… sur la terre ocre cela donne un joli contraste tant ces couleurs sont vives et naturelles. Sur la piste, on ne croise pas grand monde ; à peine quelques marchands transportant leur magasin (babouche, bonbons, biscuits, savons, cigarettes aux saveurs de la brousse, riz, casiers de bière etc.) quittent Kisangani sur leur beau vélo décoré de petites fleurs en plastique. Ils vont vendre leurs effets dans la province enclavée du Maniéma où nous nous dirigeons. Mais les candidats à la traversée ne sont pas nombreux car la route est très éprouvante et peu sûre jusqu'il y a six mois.

Après de longues heures dans ces contrées quasi vierges, on retrouve peu à peu des signes de civilisation à l'approche de la ville de Lubutu. D'abord la piste retrouve quelques traces de bitume et on y est plus tout à fait seul. Les échoppes et établis en bois commencent à pointer ça et là. On y vend des savons multicolores, du lait en poudre, des boîtes de sardines, du concentré de tomate, des bics etc. Quelques mamas attendent derrière de petits monticules de charbon de bois vendu presque à la pièce. Les toléka (vélos qui servent de taxi) sont de plus en plus nombreux et font leurs prouesses quotidiennes en prenant jusqu'à 3 personnes sur le vélo. On croise des étudiantes en uniforme qui sont sorties du village pour aller à l'école de la ville. Elles marchent en file indienne sur les bas côtés parmi les poules, les chèvres et les cochons qui traversent dangereusement la route. Un vieux papa habillé en guenilles ramène de la brousse d'énormes fagots de bois qui l'écrase sous leur poids. Quelle force puise-t-il encore dans ce corps décharné et fatigué qui ne devrait plus pouvoir porter grand-chose ? La misère sans doute, la misère.

Le long de la route c'est la ville qui commence à croître et on croise toute sorte de gens qui vont l'alimenter de leurs activités diverses. Je vois un gars qui se promène avec deux espèces de longues lianes mouvantes et luisantes dans les mains : horreur, ce sont deux grands serpents qu'il a capturé… Il va sans doute aller les vendre au marché car ils constituent un met de choix dans certaines tribus. Une femme transporte une énorme bassine d'eau sur la tête : impressionnant le détachement avec lequel les africaines arrivent à caler ça sur la tête et trottinent comme si de rien n'était. Toujours cette faculté de trouver la meilleure façon pour se fatiguer le moins possible… et redoutable sens pratique. Il va de soi qu'il vaut mieux la mettre sur la tête plutôt que de la porter à bout de bras… qui restent libres pour transporter par les pattes une poule dans chaque main. Un peu plus loin à peine caché par quelques feuillages, un gars à croupi au bord de la piste est en "open field defecation" comme dit le jargon humanitaire. Quelques frimeurs en motocyclette habillés d'un costume trois pièces, de lunettes de soleil et de la golden watch, viennent parader. Ils affichent leur réussite : Lubutu est une zone minière (diamants, or) et il arrive que l'un ou l'autre creuseur artisanal fasse une éphémère fortune. On croise aussi d'autres motos dont une montée par deux enfants le chauffeur et une mama assise en amazone transportant quelques botes de lenga-lenga (?). Pas de voitures ni de camions dans le coin ; "faire les pieds" est le moyen de transport le plus répandu : ici, deux amis marchent côté à côté en se tenant par la main (geste simple et amical sans sous-entendu !) et rient de toutes leurs dents, là une mama à la démarche souple et élancée, habillées d'un pagne à la coupe élégante se rend au marché, une chanson à la bouche.

Les grands fours à briques en forme de tour trônent comme des monuments à l'entrée de la ville. Non ici, on ne trouvera plus les habitations en torchis et feuilles de palmes, ici c'est du dur c'est la civilisation. En fin de journée, ils rougeoient dans l'obscurité et on voit des hommes s'agiter tels des vulcains autour de leur forge.

Avec la civilisation reviennent aussi les tracasseries des prédateurs en tout genre : un quidam pseduo officiel nous arrêtent : "Vos papiers" Il faut payer une taxe pour passer la barrière de corde. Je refuse. Ils m'envoient chez leur chef. Je l'envoie poliment au diable vaut vert et rouge car les humanitaires sont dispensés, il le sait mais il essaie. Palabres inutiles et énervantes. Ça se termine par une lamentable aumône mise sans complexe sur le dos de l'amitié : "Mais vous êtes mon ami ?" Négatif chef. "Vous ne voulez pas être mon ami ?" Négatif "Vous n'avez rien à donner pour votre papa qui souffre ?" Négatif. Scène classique de tracasserie congolaise, perte de temps et d'énergie.

Ici les prix sont plus élevés qu'à Kisangani à cause des conditions de transport. Le taux de change $/franc congolais n'est plus le même non plus. On paie avec ces billets décolorés, déchiquetés et galleux de la brousse. Sans compter qu'ici l'argent a une odeur corsée, on ne sait jamais où il a traîné et je m'inquiète un peu quand je vois par exemple un homme qui roule un billet de 100F entre ses doigts et l'utilise pour se curer les oreilles… Comme il n'y a pas grand-chose à acheter comme nourriture, on est toujours très économe sur le terrain. Chacun prévoie la disette et emporte avec soi quelques palliatifs : les chauffeurs se préparent un délicieux sandwich Nutella/sardine ! J'esquisse un vague dégoût en les voyant manger. "Oui mais vous, les muzungu, vous ne pouvez pas comprendre ! Et puis c'est très énergétique…" Mais aucun poète n'aurait imaginé allier deux saveurs si repoussantes dans un oxymoron traduisant, l'infecte, le gras dégoût… à vomir !

Notre équipe loge à la procure de la paroisse. C'est fou de voir que les missionnaires catholiques ont été jusque dans des coins aussi reculés ; mais à vrai dire ils sont partout. Le curé me dit "Vous commencer déjà à travailler alors que vous venez d'arriver ? Mais il faut prendre le bain avant" en me montrant ce qui est censé être la salle de bain. Je le remercie poliment. Déjà que c'est pas le genre de pièce où je mets facilement les pieds mais alors dans un endroit aussi délabré et malsain… surtout alors quand il y a des guests comme ça…

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En fait le plus drôle pour moi dans tous ces déplacements dans le pays avec les différents moyens de transport évoqués dans ce blog, c'est de se retrouver dans des endroits inimaginables, dans des trous perdus comme Lubutu, Kindu ou Ubundu, Kisangani etc. Tout à coup, je suis là au milieu de ces gens, je les vois vivre et partage un fragment de leur vie. Ici au beau milieu de la brousse, dans une région enclavée, oublié de tous, à des milliers de kilomètres de chez moi, je me retrouve parmi eux à contempler cette situation et finis par la trouver belle tellement elle est improbable… et c'est encore la seule chose qui me plait dans ce boulot. Ça en devient marrant tellement c'est absurde, tellement les mondes sont inattendus, différents. Sont-ce des découvertes intéressantes ? Ces endroits les plus inconnus des cartes et des mappemondes, je peux y planter un drapeau ou mieux, un oranger, et je sais –un peu- comment ils se présentent, qu'est-ce qu'on y fait, comment on y vit, comment on y pense. Cela n'est rien, ça ne se calcule pas ni ne s'évalue mais voilà de quoi me faire avancer toujours un peu plus loin… le monde est vaste. Et comme le disait Kerouac dont un de ses titres a ouvert cette odieuse trilogie "Je devais me débiner dans la nuit, disparaître et aller voir ce que les gens faisaient dans tout le pays".

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Soundtrack Mai :

  1. Miles Davis : Flamenco Sketch (Mick Jagger : "il y a la musique qu'on connaît et il y a Miles, stratosphérique"… parfaite intro cloudsleeper)

  2. Jane Birkin : L'aquaboniste (a cappella les mots résonnent superbement)

  3. Charles Aznavour : Deux guitares (toujours ces memes questions)

  4. Luke : Dans le cour

  5. Julien Clerc : Travailler c'est trop dur (comme un hymne ici)

  6. Daniel Hélin : La came

  7. Max Berlin : Elle et moi
  8. The Little Rabbits : Une belle fille comme toi

  9. Java : Sexe, accordéon et alcool (c'est pas un truc de beauf comme on pourrait le croire mais de bons textes)

  10. Serge Gainsbourg : Vieille canaille (live)

  11. Starflam : Bled Runner

  12. Kelis : Good stuff (percutant)
  13. Public Enemy : Give it up

  14. NTM : Qu'est-ce qu'on attend ? (live : une autre bombe)

  15. Snoop Doggy Dog : Doggy style (classe du phrasé, du son, du groove…)

  16. The Roots : Stay cool (motherfucker stay cool)

  17. Johnny Guitar Watson : Ain't that a bitch ?

  18. Stevie Wonder : Superstition (5 seconde d'intro de batterie aussi mythique que Rock'n'roll de led zep mais moins flashy)

  19. LCD Soundsystem : Yeah (Pretentious version)

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Commentaires
M
Ca roule!!! Je t'échange bien volontiers une lipo contre ton rembourrage de fesses. <br /> <br /> Fais bon voyage et... welcome home !<br /> <br /> Et histoire de savoir ce qui t'attend...<br /> - www.meteoconsult.fr/ter/monde/prevision/moteur.php?langue=fr&saisie=Bruxelles<br /> - www.quefaire.be<br /> - www.idj.be/gratos/index.lasso
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